J.O. 293 du 19 décembre 2003
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Texte paru au JORF/LD page 21694
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Mémoire en réplique des députés signataires du recours dirigé contre la loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité
NOR : CSCL0307022X
Monsieur le président, mesdames et messieurs les conseillers, les observations du Gouvernement appellent de notre part les brèves remarques suivantes.
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I. - Sur le titre Ier de la loi et, en particulier,
la violation de l'article 72-2 de la Constitution
S'agissant de la méconnaissance du cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, le Gouvernement prétend, en référence à votre jurisprudence, que la règle ainsi édictée n'a pas à faire l'objet d'une application systématique. Si l'on peut comprendre ce premier temps du raisonnement, on peine à saisir le sens de l'argument selon lequel « la loi déférée n'ayant nullement pour objet la mise en place de dispositifs de péréquation, l'invocation du cinquième alinéa de l'article 72-2 C est dépourvue de portée » (observations, page 7).
La question posée est pourtant celle de savoir si, lors d'un transfert de compétence de l'Etat vers une collectivité territoriale, il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de péréquation afin que le principe d'égalité puisse être pleinement respecté entre toutes les collectivités concernées.
La réponse commandée par l'article 72-2 C est assurément positive.
Votre jurisprudence ne dément pas une telle lecture de la Constitution dès lors qu'elle se fonde sur la conciliation entre la liberté et le principe d'égalité. Dans la mesure où un transfert de compétence s'avère de nature à créer une différence entre collectivités territoriales ne disposant pas des mêmes moyens financiers, et donc entre la satisfaction par département des besoins des citoyens, il importe de garantir, au travers cette règle de péréquation, que le principe d'égalité soit pleinement respecté.
Si, comme le soutient le Gouvernement, c'est au cas par cas que le principe de péréquation doit trouver à s'appliquer, il est certain qu'en l'occurrence il trouve un terrain privilégié de mise en oeuvre.
Comme il a été amplement démontré, votre jurisprudence constante à l'appui, toute liberté ou droit fondamental doit connaître une application semblable sur l'ensemble du territoire. Le RMI, ce que ne conteste nullement les observations en défense, s'inscrit bien dans le cadre des droits sociaux que le Préambule de 1946 garantit à chacun au titre de la solidarité nationale. Dans ces conditions, il est indispensable que la loi, outre la compensation financière constitutionnellement indispensable, garantisse que tous les départements seront en mesure d'assumer entièrement leur compétence nouvelle en matière de droit à un revenu minimum d'insertion.
Or, et là encore sans aucun démenti de la part du Gouvernement, il est malheureusement certain que tous les départements ne connaissent pas la même situation économique et que le nombre de demandeurs légitimes du RMI seront plus nombreux dans certains que dans d'autres étant moins frappés par les difficultés sociales et le chômage.
C'est dans une hypothèse de ce genre que la règle constitutionnelle de péréquation financière doit trouver une application concrète. Sauf à considérer, quelques mois après la révision de notre Constitution, que le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution est dépourvu de portée.
Cette application du principe constitutionnel de péréquation est d'autant plus nécessaire au cas présent que l'égalité entre départements quant aux ressources adaptées à leurs nouvelles compétences signifie l'égalité des personnes en situation sociale difficile quant à l'accès aux droits que le Préambule de 1946 consacre. Pourtant, l'attribution de la part de TIPP se fera sans correctif et alors même, au surplus, que le produit de cet impôt peut varier sensiblement.
A cet égard, l'argument tiré de ce que le mécanisme de péréquation doit figurer dans une loi de finances se méprend sur la portée de l'alinéa en cause. A l'instar du quatrième alinéa du même article , c'est à la loi qui organise le transfert de compétence de prévoir ladite péréquation ; même si une loi de finances doit, parallèlement, en tirer toutes les conséquences.
De tous ces chefs, la censure est inévitable et c'est l'ensemble du titre Ier qui doit alors être invalidé.
II. - Sur l'article 43 de la loi
La création du contrat d'insertion-revenu minimum d'activité ne va pas sans poser des questions de fond sur les inégalités y étant liées.
Le Gouvernement tente de faire croire que les salariés visés sont dans une situation objectivement différente des autres salariés, en raison de « leur plus faible employabilité ». L'intérêt général tiré de l'objectif d'insertion justifierait donc le traitement discriminatoire dont ils pâtissent aux termes de la loi.
Le principe d'égalité ne fait certes pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles non identiques à l'égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations objectivement distinctes et si ces règles différentes trouvent leur source dans l'objet de la loi (parmi une jurisprudence abondante : décision no 86-209 DC du 3 juillet 1986).
En revanche, vous avez jugé qu'en excluant du bénéfice de la garantie certains salariés employés à temps partiel à la date de la réduction du temps de travail et occupant des postes équivalents à ceux des salariés bénéficiant du complément différentiel de salaire, le législateur établit une différence de traitement sans rapport direct avec l'objectif qu'il s'était fixé (décision no 99-423 DC du 13 janvier 2000).
Or, en l'espèce, l'intérêt général visant à faciliter la réinsertion de personnes en situation délicate ne saurait justifier que les droits sociaux fondamentaux, dont celui du droit à la retraite, soient moins bien assurés au bénéfice de ceux dont l'insertion est en cause et alors pourtant qu'ils remplissent le même emploi et la même fonction que les autres salariés de leur entreprise.
Bien au contraire, et sans que l'on puisse tirer un quelconque argument d'une prétendue moindre productivité de ces personnes comme le fait sans scrupule le Gouvernement (page 9 de ses observations), il est conforme au principe d'égalité, et à l'intérêt général poursuivi par cette loi, que les personnes concernées bénéficient pleinement de leurs droits sociaux.
Il serait pour le moins paradoxal que les personnes les plus frappées par les difficultés économiques soient celles dont les droits sociaux sont les moins bien garantis !
C'est, d'ailleurs, pour ces raisons évidentes que la liberté individuelle de ces personnes est atteinte. En effet, le Gouvernement feint d'ignorer que le mécanisme critiqué les oblige à choisir, au motif de leur insertion, entre l'absence durable d'emploi et un contrat auquel sont attachés, de l'aveu même du Gouvernement, des droits sociaux moindres que ceux des salariés liés par un contrat de droit commun afin d'assurer une fonction identique dans l'entreprise et pour une même durée.
Si les auteurs de la saisine sont particulièrement attachés à l'objectif d'insertion, auquel ils ont fortement contribué, ils ne peuvent concevoir qu'on puisse, en son nom, organiser un sous-salariat, et ce nonobstant les garde-fous classiques retenus par le législateur.
De tous ces chefs, l'invalidation de l'article dans son ensemble est encourue.
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Les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans leurs griefs.
Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.